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Onbegrepen Argentinië

par Paulo A. Paranagua

Longtemps, les Argentins ont traîné une réputation d’arrogance, souvent attribuée à la prospérité et au rayonnement de Buenos Aires durant une bonne partie du XXe siècle. Lorsque les déboires ont dépassé les motifs d’orgueil, le succès du football argentin a prolongé ce stéréotype de la vanité portègne. Sans disparaître tout à fait, il tend désormais à se mêler à un sentiment assez répandu en Argentine : celui d’être incompris du reste du monde.

La singularité nationale se drape d’une complexité, supposée indéchiffrable aux yeux des étrangers. Le noyau dur de l’incompréhension concerne le péronisme, ce mouvement apparu en 1945, qui domine toujours la vie politique et sociale. La réélection de la présidente Cristina Kirchner dès le premier tour, le 23 octobre, est le énième épisode de ce phénomène qui défie les politologues et les simples curieux, d’autant plus nombreux que l’Argentine est une destination à la mode. A force de contenir tout et son contraire, de l’extrême gauche à l’extrême droite, des néolibéraux aux nostalgiques de l’Etat-providence, le péronisme ne veut plus dire grand-chose. C’est devenu un concept passe-partout, où chacun projette ses espoirs ou ses phobies.

Pour répondre à la curiosité des voyageurs avides d’autre chose que de bonnes adresses, La Découverte propose un livre sur l’Argentine dans sa collection “Les guides de l’état du monde”, qui comptait déjà d’excellents ouvrages sur Cuba et le Brésil. Ludovic Lamant, journaliste et cinéphile, survole la géographie, l’histoire, la société et la culture de l’immense pays. Le péronisme, les années de plomb, les luttes anciennes et les révoltes contemporaines y occupent une large place.

Cependant, l’auteur peine à communiquer son enthousiasme et enfile les coups de projecteur laborieusement. Des approximations et des erreurs polluent le texte. L’écrivain Jorge Luis Borges devient ainsi Juan Luis dans la bibliographie, indigente. Le passage sur Borges est d’ailleurs affligeant et ne soutient pas la comparaison avec Wikipédia. Il contient une confusion : lors du retour d’exil du général Peron (1973), Borges était intouchable ; c’est sous le régime péroniste des années 1940 qu’il a subi des humiliations. L’auteur confond aussi la guerre du Paraguay (XIXe siècle) et celle du Chaco (XXe siècle), police métropolitaine et police de la province de Buenos Aires…

Au risque d’attiser la rivalité entre journalistes et universitaires, on se permettra de recommander plutôt le dossier sur “L’Argentine des Kirchner, dix ans après la crise”, publié par la revue Problèmes d’Amérique latine. Marie-France Prévôt-Schapira a convoqué Pierre Salama, grand connaisseur des économies de la région, et une brochette de brillants universitaires argentins. Ces derniers décryptent les relations entre le gouvernement, les syndicats et les oppositions. Ils analysent les métamorphoses du nationalisme et les évolutions sociales. Il en ressort une vision nuancée sur les “clairs-obscurs” du kirchnérisme, qui semble séduire les intellectuels sans toujours les convaincre.

Peut-être faut-il voir dans ce renouvellement incessant du discours nationaliste, par définition autocentré, l’origine de l’incompréhension entre les Argentins et les autres. Les traductions, les échanges, les voyages peuvent contribuer à l’estomper.

Argentine : histoire, société, culture, de Ludovic Lamant. La Découverte, 222 p., 15 €
L’Argentine des Kirchner, dix ans après la crise. Problèmes d’Amérique latine No 82, 144 p., 20 €.

[uit Le Monde, 14-11-2011]

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