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Édouard Glissant – Les Indes

Sur Gênes va s’ouvrir le pré des cloches d’aventures.
Ô lyre d’airain et de vent, dans l’air lyrique de départs,
L’ancre est à jour !… Et la très douce hébétude,
Qu’on la tarisse ! Au loin d’une autre salaison.
Ô le sel de la mer est plus propice ici que l’eau bénite de l’évêque,
Cependant que la foule fait silence ; et elle entend la suite de l’histoire…
Ville, écoute ; et sois pieuse ! Religion te sera faite dans nos coeurs,
Qui avons su l’émoi et la boussole, et d’autres oeuvres sur la voile.

II

L’homme arrête le geste, il dit, gardant l’écume : « Ce combat
« Fut d’écumes, de foi, de soleils et de sangs,
« Où l’or taché de sang, avait sa part essentielle ; et la folie, sa part ! »
Et quelqu’un dit : « Nous sommes plage de l’écume, ô fils. »
Il dit… Nous, sur la plage, il nous est fait licence de nous assembler à la proue de la voix, de crier,
Sur la plage, l’Éclair, seule raison des Écumeurs.

III

Il dit ; et la plage ne sait, à ce début, de quelle écume se fera
Sacre ou ravage ? Nul ne sait, pieds nus sur le sable nu,
De quelles Indes voici l’approche et la louange, ou quel ce capitaine
(Aveuglé de vents ou de diamants ?)
Que la voix sur la plage somme encore de partir, libérant la boucle d’amarre ?
Mais cette science est plus profonde.

IV

Comme le nègre, sur les mornes, qui prédit
Le vol proche d’un bateau porteur de femmes nouvelles et de casseroles,
(Femme de La Rochelle et casseroles de fer-blanc, dit-il),
Et qui souffrit d’un prêtre la saumure et les piments — écorché vif !
Mais le bateau ne vint-il pas à quai, caressant de sa toile humide
Le pays de carne et de mort !

[…]

VI

Indes ! ce fut ainsi, par votre nom cloué sur la folie, que commença la mer.
Avait-elle pris forme ou pris naissance, dites-le, jusqu’à ce jour
Quand les vieillards de ce côté que verdit le soleil, se levèrent
Et dirent, balbutiant : « Où va le souffle, sont les Indes » ?
Ils priaient. Et faisaient lance de leur dieu pour le planter sur la première grève.
Puis ils partirent.

VII

Qu’était la mer, et son écume ? Savait-on si sa parole ne se mourait
En quelque gouffre, au loin des routes révélées ?
Longtemps ainsi la voix de l’homme se perdit aux temples
Pour obscure qu’était la route jusqu’au temple ! Et cette mer,
Croyait-on pas qu’elle coulait dans l’infini, goulue qui bée, jusqu’à tarir ?
— Puis, l’autre rive fut saluée !

VIII

Chacun vit que l’océan faisait commerce de soi-même, à l’autre plage de la vie.
Qu’il était riche de manguiers, de soies, d’épices, de venelles
(Mais où était l’épice, et où était la soie, tu le demandes maintenant ?)
Et chacun s’écria que l’océan est force dure, qui s’éprouve, impure,
Et se nourrit de sa chair même !

[Uit Les Indes van Édouard Glissant, Éditions Le Seuil, Paris, 1965, pp. 67-73.

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